Dirigeant des Pépinières Chatelain (Le Thillay, Val-d’Oise), Laurent Chatelain est vice-président du Conseil horticole Île-de-France et administrateur de la FDSEA Île-de-France.
« Je souhaite alerter les agriculteurs, et plus particulièrement les agriculteurs élus au sein de collectivités, sur le recours aux entreprises d’espaces verts dites »locales » dans les projets d’aménagement. Très souvent, ces paysagistes ne font pas travailler les producteurs locaux, et se fournissent même bien souvent à l’étranger. Autrement dit, ce n’est pas parce que les plantations sont effectuées par des entreprises de la région que les végétaux proviennent de la production francilienne.
Ce problème est récurrent. Dernier exemple en date : un projet de piste cyclable est en cours en lisière d’une parcelle que je cultive. Je dois batailler pour que le Département du Val-d’Oise, qui a missionné une entreprise locale, demande à cette dernière d’utiliser des plantes venant de notre pépinière, située à quelques kilomètres. Il est quand même regrettable de constater que nous ne sommes même pas sûrs de fournir les végétaux, alors que nous sommes juste à côté, et que nous avons accepté de les aider à étaler la terre sur la surface du projet.
Pour éviter cela, il serait judicieux d’allotir les marchés entre fourniture de végétaux et plantation. Souvent, les services publics sont réticents à le faire, car cela implique de créer deux marchés publics distincts. On m’explique aussi parfois que les pépinières locales ne disposent pas de tous les végétaux choisis pour le projet. Aucune pépinière n’a l’ensemble des plantes en stock, c’est normal ! L’idéal serait que les pépiniéristes puissent participer en amont au choix des essences utilisées, ou bien que les architectes, si engagés soient-ils, viennent visiter nos parcelles pour y puiser des idées.
J’entends encore dire que nos pépinières franciliennes sont plus chères que les pépinières étrangères. Concernant les plantes de gros calibre, nous sommes quasiment alignés : le sujet du prix n’en est pas un. Sur les plantes moyennes et petites, il peut y avoir une différence, mais il faut savoir que nos plantes sont plus durables, avec un phénomène de meilleure reprise, car nous travaillons avec des containers de 3 ou 4 litres quand nos concurrents étrangers utilisent des containers de 2 litres. Lorsque nécessaire, nous pouvons nous aligner bien sûr, mais il faut savoir que nos marges en pâtissent car les pépinières étrangères ont des pratiques qui ne sont plus autorisées chez nous, et qui leur font gagner du temps et de la marge sur leurs productions.
C’est un fait avéré : il existe une différence intra-européenne sur l’utilisation de produits phytosanitaires. Nos concurrents belges, hollandais, allemands, espagnols… traitent avec des produits qui ne sont pas autorisés en France, alors que de notre côté, nous sommes contraints de recourir à davantage de main-d’oeuvre pour désherber les carrés de culture. C’est une concurrence déloyale, à l’image de ce qui se profile avec l’accord du Mercosur. Lorsque nous alignons nos prix à la concurrence, certaines productions ne sont plus rentables, il faut en avoir conscience.
Et que chacun le sache. Cette bataille des prix n’est pas sans conséquence. Le fait de ne pas recourir à des producteurs locaux a un impact économique sur l’ensemble de la chaîne : moins d’emplois locaux, atteinte à la pérennité de nos exploitations…
Heureusement, malgré ce contexte, certaines collectivités telles que Clamart (Hauts-de- Seine) par exemple, sont sensibilisées et s’engagent à privilégier les produits locaux. Et toujours malgré ce contexte, des projets d’envergure peuvent être menés, comme nous l’avons prouvé au moment des Jeux olympiques. Nos pépinières se sont regroupées et ont pu obtenir trois lots de fourniture de végétaux sur quatre pour les contrats de culture proposés par la Solideo, société organisatrice. C’était une réussite.
Nous avons une capacité francilienne exceptionnelle sur laquelle tous peuvent s’appuyer. Utilisons-la ! »