« Des ingénieurs en recherche existentielle »
Agriculteur à Saclay (Essonne), Pierre Bot est président de la commission Nouvelles formes d’agricultures et administrateur de la FDSEA Île-de-France.
« Je voudrais profiter de cette tribune pour interpeller notre nouveau ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, qui a la charge de l’enseignement agricole.
Depuis plusieurs semaines, je suis de plus en plus confronté à des ingénieurs pour qui leur mission n’a plus de sens. À l’image des huit jeunes diplômés d’AgroParisTech qui ont fait le buzz il y a quelques jours, leur principal sujet de recherche devient celui de leur fonction dans notre société. Tout ceci a, à mes yeux, deux causes : l’allotement de la société et l’élitisation par les diplômes.
Notamment dans l’agriculture, nous constatons que la recherche fondamentale travaille bien trop loin du terrain, et les publications des chercheurs font souvent vivement réagir le monde agricole, tant elles sont éloignées des réalités. Ceci est en partie dû aux difficultés de financement de la recherche, le scientifique travaille alors sur des mots clés susceptibles de mobiliser plus facilement des fonds : »pollinisateurs », »biodiversité », »réchauffement climatique »… faisant fi de l’expression de besoin de l’agriculture et des consommateurs, ils travaillent en silo.
Par ailleurs, l’élitisation par les diplômes pousse à former de plus en plus d’ingénieurs et de diplômés supérieurs, vidant ainsi les échelons inférieurs de la pyramide des formations. C’est l’armée mexicaine, plein de gradés désorganisés qui mènent des troupes de fantassins amateurs ; des ingénieurs agro à la tête d’une armée de jardiniers bohèmes et autres woofeurs.
Le chercheur n’existe qu’au travers du technicien (puis l’ouvrier) qui applique concrètement les évolutions de la science. S’il y a un trou dans la pyramide, les travaux de recherche s’en trouvent vidés de leur sens. Cette perte de valeur dans notre contrat de société invite certains à déserter, moi j’en invite à résister. Soyons des scientifiques optimistes et technophiles, semons du bon sens, arrosons cela de pragmatisme pour rêver d’une récolte de résilience. Formons des généraux ; mais aussi des chefs d’escadron, des lieutenants et des adjudants pour notre armée alimentaire.
Signé Pierre Bot, technicien du vivant épanoui et soldat de l’armée alimentaire. »